Cet article est sponsorisé par Martin Heidegger, même s’il tire une tronche pas possible.
Aller, un petit titre pompeux et en latin bas de gamme (corrigez-moi si c’est vraiment trop faux !) pour cacher un article qui me trotte dans l’esprit depuis que j’écris des tests pour Android-France, c’est-à-dire depuis fin Aout à peu près. Comme ce soir les news ne sont pas légion (Cyril va me taper) et que j’ai un peu d’inspiration, je me lance.
Quand j’aime un smartphone et que je le dis, les commentaires sont toujours positifs (et également moins nombreux). Quand je n’aime pas un produit, le débat est lancé, et on peut difficilement l’arrêter (Touchlet quand tu nous tiens…). Quand je suis plutôt convaincu par du matériel mais que j’en relève les défauts, j’ai le droit à une levée de bouclier massive… qui vient le plus souvent des possesseurs du produit testé. Les trois cas peuvent être expliqués, ce me semble, par un seul mot : l’affectivité.
Cet article ne vaut rien si vous avez enterré votre tamagotchi quand vous étiez gosse.
Un petit historique est nécessaire pour contextualiser la réflexion. Jadis, du temps de nos “arrières arrières grands-parents” pour paraphraser Rilke qui écrivait “nos grands-parents” au milieu du XXe siècle, l’objet qui n’était pas produit en masse avait un contenu émotionnel et affectif très fort. Le costume du dimanche par exemple. Si l’expression est restée dans le français, c’est bien que ce fameux costume avait une importance toute particulière. Fait à la main, cher payé, c’était une pièce unique.
Ce couple approuve. Monsieur a une poignée de canne en forme de… non rien.
L’homme de la maison avait SON costume : les photos d’époque ne me contredisent pas. Mais il en allait de même avec à peu près tout, des objets qui duraient toute une vie, LA montre, LE stylo, LA voiture pour les plus aisés, LES souliers pour les paysans, LE violon pour les musiciens. Cherchez un peu dans vos greniers, vous devez tous avoir de ces objets précieux et uniques, pas tellement parce qu’ils coûtaient une fortune, mais parce qu’ils étaient au centre de toute une vie d’homme ou de femme.
Puis est arrivée la société de consommation, la production à la chaîne, le supermarché… bref. Loin de moi l’idée d’une critique marxiste des valeurs bourgeoises, après tout, je succombe à toutes les geekeries possibles et imaginables sans aller me confesser tous les 2 jours, mais il faut relever une chose de ce mouvement : l’objet est devenu multiple et presque infini. Combien avez-vous de stylo devant les yeux, là, maintenant, qui traînent sur et sous votre bureau ? Moi, à peu près 4. Et en plus ils sont jetables.
L’usine Foxconn, productrice d’une partie du matériel équipant les iPhones… et très certainement beaucoup de nos portables.
Production, consommation, multiplication des objets… de l’affectivité pour votre Pilot V7 ? Votre bloc note ? Vos 400 cartes de visite ? Votre 6e écran ? Votre stock incroyable de disques durs de 20 Mo à 1 To ? Aucune. Toutes ces pièces sont des consommables au sens propre du terme et on ne les remarque même plus. La technique nous permet d’en avoir un stock énorme, de les utiliser, et depuis peu, de les recycler pour en produire de nouveaux. A la limite, le seul attachement est purement financier : bah ouais, je sais qu’il y a dans un entrepôt 10000 écrans comme le mien, mais je n’ai quand même pas envie qu’il parte en fumée tous les 2 jours, sinon adieu le compte en banque, donc même si je sais que je pourrais en avoir un autre, c’est lui que je veux garder.
Et un jour, rédempteur du grand mépris, vint le téléphone, et le smartphone lui succéda.
Pour une raison qui n’est pas si obscure, le téléphone portable a échappé à cette logique. Et oui, le portable de vos années collège ou lycée, c’était votre premier lien intime avec le monde, vos premiers SMS secrets, votre première occasion de vous la péter aussi. C’était plus qu’un simple objet technique, parce qu’il “connecting people” comme disait Nokia. Et puis contrairement au PC, tout de suite sa taille a été assez réduite pour qu’on l’ait, tout le temps. Comme la bague de votre grand-mère ou son stylo utilisé 300 jours par an. Le portable est devenu une sorte d’icône, entre le bijou et l’objet technologique. En fait, le réseau téléphonique vu sous cet angle est le premier “réseau social”, vous permettant de choisir et d’enregistrer vos contacts, de discuter, de partager des photos, d’écrire des messages… et tout ça dans un véritable objet physique.
Et Dieu trouva que la forme humaine était has-been pour sauver le monde. Il s’incarna en 3310. Et il vit que c’était bon.
Il y a donc dès le début un rapport bien plus proche au portable qu’à toute autre objet, qu’il soit un reflet de notre personnalité et de nos convictions (rappelez-vous, les portables autour du cou…) ou un moyen de se tenir près des gens qui nous sont chers. Encore aujourd’hui, on ne peut pas séparer radicalement le choix d’un iPhone ou d’un Androphone d’une volonté de simplicité et de mode, d’une conviction “anti-Jobs”, “pro-libre” ou d’un refus de “suivre la masse”. Et Combien ont un petit pincement d’inquiétude quand quelqu’un trifouille à l’intérieur de leur portable ? Ne reste-t-il pas un texto compromettant ? Une photo que j’aurais dû effacer depuis longtemps ? Ces questions viennent à l’esprit : on confie beaucoup à ces machines.
Dès lors, la suite est évidente : le choix du portable devient un choix tout aussi affectif que son utilisation. D’abord, il y a la dépense, qui peut parfois être assez lourde. Bah oui, un HTC Desire HD à plus de 500 €, c’est un investissement. Mais cela ne s’arrête pas là : le smartphone est celui qu’on a choisi. Parce qu’il nous ressemble, non pas extérieurement, mais qu’il est le meilleur pour faire ce qu’on veut qu’il fasse, non pas parce qu’il l’est, mais qu’on a décidé qu’il en serait ainsi. Une sorte de juste milieu entre l’impulsivité de l’achat et la démarche rationnelle de lecture des tests et avis. Quand je vois certains commentaires sur le test du Desire HD, j’ai l’impression, chers lecteurs, que vous vous êtes sentis insultés quand je ne faisais que relever les défauts d’un assemblage de plastique et de composants électroniques.
Tenez, le premier résultat Google Image…
Cette réaction est pleine d’enseignements, et son opposé l’est aussi : tous les commentaires “neutres” ou en accord avec mon propos venaient souvent de ceux d’entre vous qui avaient eu le portable, soit en test, soit d’une manière plus indirecte (renouvellement, offre promotionnelle ou dans le cadre de leur boulot) et qui donc n’avaient pas le même rapport à l’objet.
De même, comme énoncé plus haut, rares sont ceux d’entre vous qui viennent commenter un test élogieux en disant “j’ai acheté ce portable, et il est vraiment pourri”. Cette démarche inverse se faisant très rarement, cela tend à confirmer tous les enjeux affectifs du rapport au smartphone. Il est aussi possible que les déçus n’osent pas le dire haut et fort quand un test vient confirmer l’objet de leur déception : il est plus facile de se taire et de faire comme si on n’avait pas lu le test que de s’en vouloir d’avoir acheter impulsivement le dernier smartphone à la mode.
Conclusion, parce que je ne vais pas vous embêter plus longtemps.
En lisant vos commentaire sur mes tests, je ne peux donc qu’être content. Quand vous êtes d’accord, je suis rassuré de n’avoir point fait un test trop mauvais. Quand vous râlez sur des motifs objectifs, je suis ravi que le débat se lance et que l’on puisse discuter. Quand vous vous indignez sur des motifs affectifs, c’est magnifique !
Un lolcat : check.
Je ne suis même pas ironique, c’est un peu le rêve de tout idéaliste que les hommes puissent redevenir un tantinet irrationnels dans leurs réactions alors qu’ils vivent dans un monde définitivement technique et rationnel. Que des objets soient encore des objets “privilégiés”, dans lesquels nous mettons une bonne dose de notre humanité, et ce malgré leur production en série, c’est un signe que nous sommes encore capables de comprendre ce qu’ils représentent en terme de travail et de recherche. Hé, cela fait de nous des humains, et pas des robots abrutis par le système, après tout.
Je continuerai pour ma part les tests sur le ton que j’ai employé jusqu’ici. Je n’hésiterai pas à ouvrir les fines brèches névrosés de l’inconscient à effet de mode de ces bijoux de technologie. Il y aura encore des déceptions, encore des bonnes surprises, encore des avis divergents et encore cette chose que je ne pourrai jamais contrôler que j’ai tenté de nommer “affectivité” dans cet article. Car il est vrai qu’en voyant passer les smartphones les uns après les autres, je n’en ai plus vraiment à leur égard. Pourtant, je chéris toujours MON Nexus One…
Et si je vous froisse, et si vous me trouvez trop dur, et si j’ai remis en cause la liaison cosmique entre vous et votre portable absolument parfait, n’hésitez pas à le crier haut et fort, que vous l’aimez, votre smartphone, et qu’après tout, rien à battre de ce que peut dire un blogger ! L’affect, ça se discute pas.
A bientôt chers lecteurs, pour le test haut en couleur de l’e-reader PocketBook IQ…